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Population urbaine mondiale à l’aube de 2050

Azzedine G. Mansour – 24 mai 2012

 

En dépit des conventions qui tentent d’en donner une signification unanime, force est de constater que le concept de « population urbaine » reste très variable d’un pays à l’autre. Il est lié à la notion de « ville » dont la définition reste pour le moins toujours imprécise. Il faut dire que l’idée même d’ « urbanité » est d’une complexité qui est souvent très difficile à cerner. Le critère de concentration démographique en un lieu donné, à lui seul, ne suffit pas à définir le fait urbain qui, outre l’aspect numérique et quantitatif très commode en apparence, recouvre d’autres phénomènes plus qualitatifs et tout aussi déterminants, tels que la continuité du cadre bâti et le regroupement, dans une même aire, d’activités humaines autres qu’agricoles (habitat, commerce, industrie, éducation, politique, culture, etc.).

 

Généralement, nous définissons le milieu urbain par opposition au domaine rural qui l’entoure. « Les images qui l’évoquent, comme le disait Georges Chabot, ne peuvent tromper (l’observateur) : rues pavées et soigneusement bordées de trottoirs, maisons qui se serrent les unes contre les autres et s’étirent en hauteur pour économiser l’espace… » [1]. En 1966, la Conférence de Prague a exigé qu’au moins l’un des trois critères suivants soit satisfait pour qu’un lieu puisse dépasser le rang de hameau ou de village et prétendre au statut de ville :

 

- une concentration d’habitations dont la distance qui sépare les unes des autres ne devrait excéder 200 mètres ;

- un établissement humain d’au moins 10 000 habitants ;

- un regroupement comprenant entre 2 000 et 10 000 âmes dont l’activité agricole ne dépasse pas 25 % de leurs occupations.

 

Une décennie plus tard, l’organisation des Nations unies est venue clarifier davantage ces critères en introduisant le concept de continuité du bâti dont elle précise les caractéristiques. La ville serait ainsi définie comme un ensemble d’habitations regroupées de sorte « qu'aucune ne soit séparée de la plus proche de plus de 200 mètres en Europe (et) 500 mètres dans les pays neufs où le système de peuplement est plus lâche. » [2] Toutefois, malgré ces précisions, les réponses, très souvent statistiques – relevant d’une vision on ne peut mécaniste de l’espace urbain – que cette définition tente d’apporter, demeurent insuffisantes au regard de la géographie urbaine. Celle-ci en rajoute d’ailleurs des critères supplémentaires, liés à l’évolution de la population dans un territoire bien délimité, ses modes de vie et l’influence de son activité économique, pour donner un sens beaucoup moins « réducteur » au phénomène. À ces éléments moins quantitatifs de définition, Georges Chabot [3] en propose d’autres relatifs à la fois à l’histoire qui permet de nuancer, voire de corriger dans certains cas la rigidité des chiffres, au droit administratif qui octroie à la ville certains privilèges et servitudes l’opposant à la campagne, et à la perception du paysage qui, malgré l’absence d’une nette frontière entre le cadre urbain et le milieu rural, aide néanmoins à distinguer relativement bien ces deux univers...

 

Cela dit, il convient de préciser qu’en termes d’espace, le fait urbain reste tout de même très restreint. Il ne concerne, en effet, que 15 % environ de la surface des continents. Il est, en revanche, le plus densément occupé. En 2007, selon des données publiées par la Banque mondiale, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la population urbaine avait devancé en nombre celle qui habite les campagnes. C’est dire qu’en moins de trois siècles, la terre a connu d’énormes mutations. Elle devient désormais de plus en plus urbaine. En effet, la population mondiale qui vit dans les villes est passée de près de 47 millions vers 1700 (soit un taux d'urbanisation de l’ordre de 8 %) à 75 millions vers 1800, et à 335 millions en 1910 (taux d'urbanisation d’environ 19 %). À peine quatre décennies plus tard (1950), elle a doublé pour se fixer temporairement aux alentours de 724 millions d'individus (soit l’équivalent de 33 % de la population totale). En 1980, elle est passée à environ 1,806 milliard de personnes et a atteint 3,15 milliards vers l’an 2005.

 

Cette croissance fulgurante a fait en sorte qu’aujourd’hui, un humain sur deux habite dans une ville et un septième de la population mondiale vit désormais à l’intérieur des limites d’une agglomération urbaine de plus d’un million d’habitants. La répartition géographique de cette population urbaine dans le monde ne se fait pas de façon égale d’une région à l’autre. L’Asie compte 49 % de citadins dont 16,9 % essentiellement en Chine. En Europe, seulement 16,7 % s’y concentrent. Les Amériques hébergent environ 22 % et le continent africain abrite un peu plus de 11 %. Par ailleurs, depuis un peu moins d’un demi-siècle, la majorité des personnes vivant en ville est observée dans des pays sous-développés. En outre, leurs taux moyens annuels de croissance est, lui aussi, très variable : très faibles en Europe et au Japon (0,1 %), faibles en Amérique du Nord et en Australie (1,4 %), modérés en Amérique latine (1,9 %), forts en Asie (2,6 %) et très forts en Afrique subsaharienne (3,6 %). Dans les agglomérations de ce continent, le rythme de cette croissance est deux fois plus élevé qu’il ne l’était dans les villes d’Europe occidentale en pleine phase d’industrialisation durant la seconde moitié du XIXe siècle. [4]

 

À l’aube de 2050, la population mondiale atteindra sans doute 9,3 milliards d’âmes. De cet effectif, 6,3 milliards vivront en ville, contre environ 3,6 milliards aujourd’hui. « Un bond spectaculaire de 72 % en moins de 40 ans ! », a fait remarquer un billet publié par Science & Vie dans son édition de juin 2012 [5] et citant des estimations parues, le 5 avril dernier, dans un rapport des Nations unies sur les perspectives mondiales d’urbanisation.

 

L’avenir de la population urbaine mondiale à l’horizon 2050

Source : P. L., « La population urbaine mondiale va exploser d’ici à 40 ans », in : Science & Vie, № 1137, juin 2012, pp. 26-27.

 

Selon ce rapport [6], qui s’appuie sur l’analyse de données relatives à 5 300 villes, l’Afrique et l’Asie vont connaître le plus fort taux d’urbanisation. À eux seuls, ces deux continents qui compteraient alors 86 % de la croissance démographique au monde, concentreront 56 % de l’essor urbain. Même s’ils resteront encore très ruraux avec 58 % et 65 % de citadins chacun, il n’en demeure pas moins que leurs populations urbaines respectives va augmenter de façon vertigineuse. Celle de l'Afrique va tripler ; elle passera de 414 millions de personnes actuellement à 1,2 milliard en 2050. Celle de l'Asie sera deux fois et demie plus importante qu’elle ne l’est aujourd’hui ; elle passera de 1,9 milliard à 3,3 milliards durant la même période. Déjà, à l’heure actuelle, « environ 52 % des 961 villes ayant au moins un demi-million d'habitants se trouvent pour la plupart en Asie, 25 % d'entre elles étant en Chine » [7] qui ne compte pas moins d’un quart des villes les plus peuplées au monde. Les villes africaines en particulier afficheront des taux de croissance record qui varieront entre 200 et 600 %, et entraineront d’énormes conséquences sur la vie de leurs habitants. En effet, si cette urbanisation accélérée leur offrira une opportunité d’accéder à nombreux services, tels que l’éducation et les soins de santé, elle ne sera pas non plus sans poser aussi un certain nombre de problèmes, notamment en matière d’emploi, de logements, d’infrastructures et d’énergie. Elle engendrera enfin la croissance des bidonvilles et son corollaire, la détérioration de l’environnement urbain.

 

Au Nord, en revanche, les populations continueront à vivre majoritairement en ville : 82 % pour les Européens et 90 % pour les Australiens, les Néo-Zélandais et les Nord-Américains. Toutefois, dans quelques pays, notamment en Europe de l’Est, un recul sera nettement observé. Plusieurs d’entre eux verront, en effet, leurs populations urbaines respectives décliner, comme au Japon (-7,5 %), en Russie (-1,8 %), en Ukraine (-8,9 %) et en Bulgarie (-14,3 %) [8].

 

Notes

 

[1] Georges Chabot, Les villes. Aperçu de géographie humaine, Paris : Librairie Armon Colin, 1952, 2nd éd., p. 7.

[2] Jacques Bonnet, « Ville. Le fait urbain dans le monde », in : Encyclopaedia Universalis, disponible en ligne à l’adresse web suivante : http://www.universalis.fr/encyclopedie/ville-le-fait-urbain-dans-le-monde/.

[3] Georges Chabot, op. cit., pp. 8-16.

[4] Jacques Bonnet, op. cit.

[5] P. L., « La population urbaine mondiale va exploser d’ici à 40 ans », in : Science & Vie, № 1137, juin 2012, pp. 26-27.

[6] Lire : « Urbanisation : l'Afrique et l'Asie vont connaître la plus forte croissance », disponible à l’adresse Internet suivante : http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=27945.

[7] Lire : « La Chine compte un quart des villes les plus peuplées du monde », disponible en ligne à l’adresse web suivante : http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=21557&Cr=villes&Cr1=.

[8] P. L., « La population urbaine mondiale va exploser d’ici à 40 ans », in : Science & Vie, op. cit., p. 26.

 

Quelques références sur le sujet

 

- F. Ascher, Métapolis ou l'avenir des villes, Odile Jacob, Paris, 1995

- A. Bailly dir., Les Très Grandes Villes dans le monde, SEDES, Paris, 2000

- P. Bairoch, De Jericho à Mexico : villes et économies dans l'histoire, Gallimard, Paris, 1985

- J. Bonnet, Les Grandes Métropoles mondiales, Nathan, Paris, 1994

- P. Bruyelle dir., Les Très Grandes Concentrations urbaines, SEDES, 2000

- L. Carroue dir., La Mondialisation, SEDES, 2006

- J. Chevalier, Grandes et très grandes villes en Amérique du Nord, Ellipses, Paris, 2000

- P. Claval, La Logique des villes, essai d'urbanologie, Litec, Paris, 1982

- E. Dorier-Apprill (dir.), Les Très Grandes Villes dans le monde, éd. du Temps, Paris, 2000

- J. Gottmann, Megalopolis, Twentieth Century Fund, New York, 1961

- P. Hall, Les Villes mondiales, Hachette, Paris, 1965

- P. L. Knox & P. J. TayloR dir., World Cities in a World-System, Cambridge Univ. Press, New York, 1995

- C. Lacour & S. Puissant (dir.), La Métropolisation. Croissance, diversité, fractures. Anthropos, 1999

- F. Moriconi-Ébrard, L'Urbanisation du monde depuis 1950, Anthropos, 1993

- ONU, World Urbanization Prospects, http://esa.un.org/unup

- T. Paquot (dir.), Le Monde des villes : panorama urbain de la planète, Complexe, Paris, 1996

- J. Pelletier & C. Delfante, Villes et urbanisme dans le monde, Masson, Paris, 1994

- D. Pumain, La Dynamique des villes, Economica, Paris, 1982

- M. Roncayolo, La Ville et ses territoires, Gallimard, 1990

- M. Roncayolo & T. Paquot (dir.), Villes et civilisation urbaine. XVIII-XXe siècle, Larousse, Paris, 1992

- S. Sassen, La Ville globale : New York, Londres, Tōkyō, Descartes et Cie, Paris, 1996

- A. J. Scott dir., Global City Regions. Trends, Theory, Policy, Oxford Univ. Press, New York, 2001

- E. W. Soja, Postmetropolis : Critical Studies of Cities and Regions, Blackwell, Malden (Mass.), 2000

- A. J. Toynbee, Les Villes dans l'histoire, Payot, Paris, 1972

- J. F. Troin, Les Métropoles des Sud, Ellipses, 2000

- P. Veltz, Mondialisation, villes et territoires. L’économie d’archipel, P.U.F., Paris, 2005

- G. Wackermann, Les Métropoles dans le monde, Ellipses, 2000.

 

Mots clés : urbanisation, population urbaine, croissance, démographie, ville, Afrique, Asie, 2050…

 

Pour citer cet article

 

Azzedine G. Mansour, « Population urbaine mondiale à l’aube de 2050 », in : Libres Expressions, 24 mai 2012 (https://azzedine-gm.blog4ever.com/blog/lire-article-501249-9339578-population_urbaine_mondiale_a_l_aube_de_2050.html).



31/05/2012
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